Tandis qu’il joue le soir au Théâtre du Gymnase Des clowns par milliers, Montand a commencé à tourner Compartiment Tueurs, le premier film d’un jeune réalisateur de trente et un ans, Constantin Costa-Gavras. Compartiment Tueurs est un thriller bien mené, rapide, dont la presse salue la virtuosité de mise en scène. C’est de là, que Montand date son véritable envol de comédien au cinéma. Jusque-là, son métier « de base », « de fond », a été la scène ; pendant deux décennies, il a couru de récitals en tournées. Désormais, les priorités sont inversées. Les planches passent au second plan. Le cinéma s’affirme comme une activité principale.
C’est à cette époque que sa vie croise celle de Jorge Semprun, ancien résistant, déporté à Buchenwald, communiste espagnol en rupture avec le Parti et va en être bouleversée. Désormais les deux hommes vont évoluer ensemble, de la critique du communisme jusqu’à son rejet. Jorge Semprun signera les scénarios de La guerre est finie, Z, l’Aveu…
C’est une histoire amoureuse. C’est quelqu’un que j’ai aimé comme on peut aimer une femme. Je l’aimais d’amour, vraiment – mais sans aucune ambiguïté – et il me l’a bien rendu, même si par son éducation, il est plus réservé que moi et manifeste moins ses sentiments. Entre nous, ce fut le coup de foudre presque aussitôt.
La guerre est finie d’Alain Resnais avec Ingrid Thulin, Geneviève Bujold et Michel Piccoli sort en 1965. Les critiques sont très bonnes pour le film, qui reçoit le prix Louis Delluc, et pour Montand, consacré Meilleur acteur de l’année aux Etats-Unis. Plus tard, l’Encyclopaedia Britannica lui rendra le plus beau des hommages en écrivant au sujet de ce film : « Yves Montand is superb. »
A présent, il ne quitte plus les plateaux. En l’espace de trois saisons, il va figurer en tête d’affiche de huit films : Paris brûle-t-il ? de René Clément, Grand Prix de John Frankenheimer, Vivre pour vivre de Claude Lelouch, Un soir, un train d’Alain Delvaux, Z de Costa-Gavras, Mr Freedom de William Klein, Le Diable par la queue de Philippe de Broca et Melinda (On a clear day, you can see forever) de Vincente Minelli.
Le succès de Vivre pour vivre est plus important que celui d’Un homme et une femme, Palme d’or au Festival de Cannes, deux ans auparavant. Quant à celui de Z, il est gigantesque, puisque le film reste trente-six semaines à l’affiche. Au Festival de Cannes en février 1969, il obtient le Prix du Jury. Aux Etats-Unis, deux Oscars lui sont attribués : celui du meilleur film étranger et celui du meilleur montage. A la fin des projections, le public, fait rarissime, applaudit à tout rompre. Z reste le premier grand film politique français qui se présente en même temps comme une œuvre destinée à tous les publics.
Le film s’est monté grâce à Jacques Perrin qui s’est battu comme un diable parce que personne n’en voulait avant. 68 a aussi changé les choses sur le plan du cinéma. Z a été le triomphe d’un certain cinéma politique. C’est à Alger, en plein tournage, que j’ai appris l’intervention des chars russes à Prague.
Montand est littéralement assommé. Depuis 1956 et la tournée dans les pays de l’Est, il s’était tenu à distance. Là, c’est la cassure.
Je suis submergé par le dégoût, l’écoeurement. Les chars russes à Prague, ce fut le coup de grâce, la fin de l’illusion que le communisme pouvait se réformer, être réformé. Ma réaction a été immédiate, primaire : je tourne la page communiste de mon existence.